Harcelée au lycée, mon histoire #NAH

Aujourd’hui, j’ai encore eu la peine de lire un article. « Emilie, 17 ans, s’est suicidée après avoir été harcelée au collège. » Mais avant elle, il y a eu Marion, ce petit garçon roux moqué à cause de la couleur de ses cheveux, et tant d’autres encore… A un certain niveau, j’en fait partie aussi. De ce groupe de jeunes dont la vie a été chamboulée à cause du harcèlement. Aujourd’hui, après de longues années de silence, j’ai décidé d’en parler ici.


Mon histoire de harcèlement a dû durer sur 1 an et demi. C’était au lycée, de la Première à la Terminale, dans un établissement du centre-ville. Pour tout vous dire, sur le coup, je n’ai pas réalisé. Non : ce n’est que quelques années plus tard, en devenant adulte, que je me suis rendue compte que j’avais été victime de harcèlement au lycée.

Tout a commencé un mois avant de rentrer en Terminale. J’ai reçu un sms. Une fille de ma classe que je connaissais à peine, et qui semblait méchamment bourrée. Je me demandais même comment elle avait pu avoir mon numéro. Elle m’envoyait un truc sans queue ni tête, à tel point que je ne me souviens plus aujourd’hui l’intitulé exact de son message. Intriguée et amusée, j’ai lu le sms à voix haute à mes amis (car j’étais de sortie ce soir-là). Une amie m’a conseillée de répondre avec humour, un truc aussi absurde. C’est ce que j’ai fait, sans trop savoir quoi attendre en retour. En tout cas, je ne m’attendais absolument pas à cette réponse :
« Tu es tellement nulle, ma pauvre Estelle. Tu n’as aucune amie dans la classe, tout le monde fait semblant parce que tu fais pitié. » 
Encore une fois, cinq ans après, je ne saurais être sûre de l’exactitude du sms, mais le fond du message était là. Choquée, je répondis à cette agression sortie de nulle part par des interrogations. S’en suivi un déferlement de haine et d’insultes que je n’avais absolument pas demandées. Attristée, je n’ai pas donné suite à cette méchanceté gratuite. Ma soirée était gâchée.
Le lendemain, j’attendis une réponse de sa part, une explication. Après tout, je connaissais à peine la fille, qu’est-ce que j’avais bien pu lui faire de mal ? J’ai attendu en vain jusqu’à la fin de l’été : elle ne s’est jamais excusée.
Le jour de la rentrée est arrivé, j’avais la boule au ventre. Quand j’ai recroisé cette fille, dans la cour de récré, elle m’a adressé un regard avec un sourire en coin, puis a levé les yeux au ciel en faisant semblant de m’ignorer. Et c’est tout. Fâchée, je ne suis pas allée vers elle lui demander des explications. Après tout, c’était à elle de s’expliquer, pas à moi. J’attendais qu’elle fasse le premier pas.
Grave erreur. Au fur et à mesure que j’attendais naïvement une explication et des excuses, cette fille-là, tel un parasite, s’est immiscée dans le groupe d’amies que je m’étais fait en première.
A la fin de l’année précédente, un événement m’avait un peu écartée du groupe. J’étais en effet plus proche d’une fille de ce groupe que du reste (les autres étant plus ses amies d’enfance que je devais me coltiner, mais que j’appréciais plus ou moins), or celle-ci ne m’avait pas soutenue pendant une épreuve personnelle particulièrement difficile que j’avais dû vivre. Vexée, je m’étais alors éloignée de cette « amie » qui n’avait pu su m’apporter le soutien dont j’avais besoin.

En Terminale donc, alors que cette amie essayait de me reconquérir, l’autre fille, appelons-la le parasite, faisait tout pour la convaincre, elle et sa bande d’amies, de ne plus traîner avec moi. Si le stratagème peut sembler bêta et stupide quand on a 17 ans (allons donc, on est plus des bébés !), c’est pourtant ce qui a fini par se passer. Comme je n’étais pas assez proche du reste des filles, que le parasite était plus cool et sur la même longueur d’onde (comprenez à porter des sacs Vanessa Bruno, des vestes Sandro et autres merveilles que possèdent beaucoup de lycéennes de centre-ville), je me suis fait lentement et « gentiment » exclure du groupe.

Disons que cela a commencé par des sourires gênés, des soirées/sorties sans me prévenir, pour finir par les messes basses en cours en me regardant, et les éclats de rire dans les couloirs quand je passais devant elles.
Il faut dire que, pour les excuser, j’avais deux torts qui faisaient de moi une fille à exclure, pour sûr : j’étais la première de la classe ET je m’habillais à H&M. Vous aurez compris le tableau.

L’exclusion a été définitive quand mon amie qui faisait partie de ce groupe a tout simplement suivi la tendance, et cessé de me parler. Ce n’était pas IN de parler au rejet de la bande. Elle était surtout lâche, et avait peur de se faire abandonner des autres.

Le premier coup encaissé, la jeune fille de 17 ans que j’étais n’a pourtant pas décidé de se laisser abattre. Il y avait plein d’autres personnes dans cette classe que ces 5-6 filles stupides qui me tournaient le dos. J’ai donc décidé de me faire d’autres amies (dans ma classe du moins, car j’avais d’autres amis et amies dans d’autres classes, mais j’avais très peu de cours avec ces personnes-là voire  pas du tout).

Je me suis donc rapprochée d’un duo de filles, un peu snob et maniérées il faut le dire, pas tellement ma fourchette de prix non plus, mais qui semblaient drôles et gentilles. Alors qu’au fil des semaines, j’ai appris à les connaître, suis allée chez elles quelques fois, ai pu m’asseoir avec elles en classe, l’alliance n’a tout simplement pas marché et je me suis fait de nouveau larguer, avec brutalité et sans chichis. En effet, entre temps, une nouvelle était arrivée en classe, et s’était rapprochée de ce duo : ni une, ni deux, elles ont décidé qu’elle était plus cool que moi, que j’étais une intello ennuyeuse, et qu’elles ne voulaient plus être mon amie.

Comment l’ai-je appris ? Alors que j’ai voulu m’asseoir à côté d’elles en cours, on m’a lancé un dédaigneux : »la place est prise » alors qu’il n’y avait personne. Je me suis donc assise à côté de la place vide. Mais comme je n’avais pas assez bien compris le message : « en fait, tu peux arrêter de t’asseoir avec nous. » Essayez de retenir vos larmes pendant 1h de leçon après ça. C’est dur. Très dur.
Heureusement pour moi, en dehors de cette situation en classe, j’avais des amis. Le problème ? Mon copain avait un an de moins et n’avait donc pas cours avec moi, ma meilleure amie était dans une autre classe, ma sœur aussi, et mes autres copines d’option, eh bien je ne les voyais qu’une à deux heures par semaine. Certes, je soufflais pendant les récrés, les déjeuners, et en dehors des cours, mais je souffrais en classe, pendant les intercours, et autres activités avec ces chères personnes.
Ajoutons à ces deux groupes de filles particulièrement abjectes une grande gueule de la classe, qui s’amusait à colporter ragots et rumeurs à mon sujet, à tout vouloir savoir de moi, pour tout mieux déformer. Ajoutons aussi une autre épreuve personnelle, familiale cette fois, qui m’a touchée en plein cœur et m’a particulièrement démolie. Vous avez comme résultat une lycéenne perdue, seule, et désespérée en classe.
Je souffrais si fort que je ne saurais compter les idées noires que j’ai eu, les crises de larmes et de désespoir, les envies de me faire du mal. Si certains de mes amis étaient au courant, dont mon copain, mes parents n’en savaient que très peu de ma situation.
Vers la fin de l’année, c’était dur d’aller en cours chaque jour, en se disant « je vais revoir ces poufs, je vais réentendre leurs rires dans mon dos, les messes basses à mon égard ».  Vers la fin de l’année, je me suis retrouvée, un beau jour, définitivement seule. Personne à côté de moi en classe, assise au premier rang, à attendre désespérément que cette affreuse heure de cours prenne fin. J’en suis sortie en sanglot; j’ai croisé ma meilleure amie dans l’escalier et me suis effondrée dans ses bras.
Au bout de quelques jours de solitude douloureuse (je n’allais pas finir mon lycée comme ça, si ?), on m’a tendu la main. Une copine de classe que je connaissais très peu, et qui traînait avec les marginaux de la classe. Ou du moins ceux qui étaient vus comme marginaux par ces poufs avec qui j’avais pu traîner. Car mis à part leurs fringues un peu bariolées, ces personnes-là étaient tout à fait normales, et même plus que les groupes de filles qui m’avaient isolées. Ces personnes-là ne se souciaient pas de comment tu t’habillais, tu te maquillais, tu te comportais en classe : elles t’acceptaient, avec un grand sourire, tout simplement.
La fille qui m’a tendu la main, et m’a intégré au groupe, m’a littéralement sauvé la vie. C’est aujourd’hui une de mes meilleures amies, et nous reparlons souvent de ce moment fatidique où nous nous sommes rapprochées. « Si tu avais vu le sourire que tu as eu quand je t’ai dit que tu pouvais traîner avec nous », m’a-t-elle confié il y a quelques mois à peine. « Je garderai ce sourire en tête toute ma vie. » Même à 22 ans et des brouettes, j’en ai pleuré.
Après mon baccalauréat, j’ai pris la fuite, et ai quitté la ville où j’avais tant souffert pour un endroit très loin. Je suis allée à l’université à Lille, alors que j’aurais pu faire la même chose à Nantes. Mais, traumatisée, il était hors de question que je recroise ces regards et ces sourires en coin affligés de sacs Longchamp et compagnie.
A Lille, j’ai vécu la meilleure année de ma vie : l’entrée dans la vie adulte, un groupe d’amies en or, des sorties tous les week-ends, des rires à n’en plus finir. C’est là que je me suis rendue compte de la gravité de la situation que j’avais eu à Nantes, et du fait que, peut-être, j’avais été victime de harcèlement. Puis, avec les campagnes de sensibilisation, et les éclosions de témoignages sur le Web, je n’ai plus eu aucun doute.
Aujourd’hui, je ressasse cette histoire avec beaucoup d’amertume et de douleur. Alors que beaucoup de mes amis parlent de leurs « années lycée » comme des meilleures, elles sont pour moi synonymes de cauchemar et de beaucoup de chagrin. Même cinq ans après, j’en pleure encore, et cette peur sidérale d’être un jour abandonnée par mes amis et ceux que j’aime ne m’a jamais tout à fait quittée.
J’ai mis du temps avant de me confier à ce sujet à mes proches et à mes parents. J’ai dévoilé mon histoire par bribes, à coup de « j’ai eu un lycée difficile », et point barre. J’ai d’ailleurs mis au courant une de mes grands-mères seulement cette année. Elle avait les larmes aux yeux, elle était choquée. Choquée de n’avoir rien vu.
Aujourd’hui, si j’en parle librement, c’est pour me libérer, mais aussi parce que si ça se trouve, ça peut aider quelqu’un. Mon histoire prouve que même si c’est difficile parfois, on peut s’en sortir.
Je sais que mon histoire est beaucoup moins douloureuse que certaines autres expériences. Mais mon but n’est pas de me comparer. En aucun cas un cas de harcèlement n’est comparable à un autre, parce que les intensités sont toutes différentes, tout comme les victimes, les contextes et les harceleurs. Mon but est tout simplement ici de témoigner afin d’apporter ma pierre à l’édifice de la campagne contre le harcèlement. On peut s’en sortir. C’est possible.
Aujourd’hui, cinq ans après, je suis épanouie et mieux dans ma peau. J’ai pu recroiser sur ma route des personnalités qui ont essayé de m’humilier, qui ont parlé dans mon dos. Mais je ne me suis pas laissée faire, je suis allée voir ces gens-là, les ai confronté. Après tout, c’est à eux d’avoir honte de faire ça en étude supérieure, à l’âge adulte. Pas moi. Si ça les amuse, c’est que nous n’avons pas le même niveau d’âge mental. Sorry.
Aujourd’hui, je n’ai aucune nouvelle de ces harceleuses, bien que j’ai pu en recroiser dans la rue lorsque je suis retournée à Nantes l’an dernier. Qu’est-ce que j’ai fait ? Je les ai alors juste ignorées, la tête haute. Elles n’en valent pas la peine. Elles ne l’ont jamais valu.

3 réponses à “Harcelée au lycée, mon histoire #NAH”

  1. Arnaud dit :

    Mais comment te dire un si jolie jeune femme, douce et prévenante que tu es ai pu souffrir de l 'imbécillité et la cruauté de certaines personnes au sein d'établissements scolaires? UNE HONTE dis-je!!!!! Je pense que les Parents et les Enseignants devraient s'associer pour enrayer cette CATASTROPHE!!! Dans certains établissements privée c'est l'ambiance élitiste qui ènne a ces lourdes dérives …. qui aussi malheureusement amène a une exclusion de certains élèves dans les groupes à croire qu'il faille faire partie d'un club ou d'un cercle !! L 'école , le collège le lycée ne seraient ils pas des lieux d'apprentissage a une certaine socialisation des individus… A la lecture de ton témoignage j'en doute ….
    Derrière tes magnifiques sourires chère Estelle se cache une jeune femme qui sais ce que le mot souffrance frustration veux dire . J 'en reste d'autant plus admiratif . En faite ton blog est une forme de revanche 🙂
    Mille Bravo !!!
    Ton lecteur "collant"

  2. Herbe Folle dit :

    Oh Estelle… Je n'aurais jamais pu deviner :/
    J'ai vécu une situation pas tellement similaire, du moins un peu moins intense car j'avais un appui dans la classe mais ça m'a énormément affecté, alors je n'ose imaginer la souffrance que tu as dû endurer.
    C'est vraiment courageux de ta part de témoigner ainsi, vraiment, je te dis bravo !

  3. Anonymous dit :

    Coucou 🙂
    Je tenais à te dire que ton témoignage m'a beaucoup touché car j'ai aussi vécu le harcèlement scolaire. Malheureusement je n'ai eu personne lors de cette période qui m'a tendu la main mais par la suite j'ai rencontré des gens extraordinaire qui m'ont aidé à devenir la femme que je suis.
    Merci à toi pour ton courage et ta gentillesse :)<3
    Lucille

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